« Gabon, pourquoi j’accuse » de la gabonaise Laurence Ndong

Un livre comme un couperet. Un ouvrage comme une mauvaise surprise pour certains et une bonne pour d’autres, le livre « Gabon, pourquoi j’accuse » de Laurence Ndong, ne laisse personne indifférent. Ancienne cadre du parti démocratique gabonais, la politico-pasteur, a décidé de tout dire ou presque sur son aventure au sein de son ancien parti politique.

 

AllSud :  Pourquoi avoir écrit ce livre ?

 

Laurence Ndong. : Je voudrais avant de répondre à cette première question, vous remercier pour l’intérêt que vous portez à mon ouvrage en m’accordant cette interview.

Pour des raisons que j’explique dans mon livre, j’ai choisi de m’engager en politique et j’ai fait le choix de militer au Parti Démocratique Gabonais après l’arrivée au pouvoir du Président Ali BONGO ONDIMBA en 2009. Ce choix a suscité beaucoup d’interrogations autour de moi, au sein de mes proches. J’ai trouvé qu’il était judicieux, pour eux et pour tous ceux qui s’interrogeaient sur le sens de mon engagement en politique en particulier et sur l’engagement en politique en général, d’écrire un livre qui répondrait à ces interrogations, d’une part. D’autre part, ce que j’ai vécu et vu au Parti Démocratique Gabonais m’a fait si peur et était tellement aux antipodes de ce qu’est pour moi la pratique de la politique, qu’il était urgent de l’écrire. L’objectif était de mener une analyse réflexive des pratiques dans le but d’identifier les représentations qui les sous-tendent parce qu’aujourd’hui au Gabon, de profonds changements sont on ne peut plus inéluctables dans la gestion de la chose publique, dans ce qu’on appelle faire de la politique si on veut que le pays survive. Le pays n’est pas au bord du gouffre, il y est de pleinement. Or, de tels changements ne peuvent se produire si on n’a pas analysé la situation en identifiant clairement ce qu’il convient de changer, pourquoi et comment on en est arrivé à la situation qu’il faut changer.

Ce serait réducteur de ramener cet ouvrage uniquement au Parti Démocratique Gabonais. Certes, il s’ouvre sur mon expérience en son sein, mais il évolue vers une analyse de la pratique de la politique tant du côté du Parti au pouvoir que de l’opposition. Il y est question des valeurs indispensables à la pratique de la politique dans notre pays et il s’achève sur un appel plus vaste à l’instauration de vraies démocraties en Afrique. Ce livre est éminemment optimiste parce qu’il montre qu’il y a d’autres façons de faire la politique, ces façons de faire qui ont entrainé le développement de certains pays et des améliorations considérables dans les pays africains qui les ont adoptées. Je prends très concrètement l’exemple du Rwanda, du Burkina-Faso et du Japon. Pour le Gabon, rien n’est perdu d’avance. Notre pays a toutes les ressources nécessaires pour être un grand pays dans le concert des nations. Il faut juste qu’il soit géré autrement et par d’autres personnes, des personnes pour lesquelles l’intérêt commun passe avant l’intérêt personnel, des personnes qui incarnent les valeurs dont notre pays a besoin pour avancer parce que aujourd’hui plus que jamais, politique doit rimer avec éthique.

 

 

AS: Le titre semble rappeler un légendaire “J’Accuse”…

 

LN : En effet ce titre s’inspire du « J’accuse » d’Emile Zola dans l’affaire Dreyfus. Ce texte publié en première page du quotidien l’Aurore, le 13 janvier 1898, se présentait comme une lettre ouverte adressée au Président Félix Faure, alors président de la république Française au sujet de l’antisémitisme dont était victime M. Dreyfus. Il ne s’agit pas d’accusations gratuites, mais d’un plaidoyer très argumenté qui démontrait l’innocence de M. Dreyfus et la fausseté de tout un système. C’est la construction de cet argumentaire qui m’a plu. C’est vrai que le titre fait peur et ce d’autant plus qu’au Gabon, le débat politique tourne souvent autour d’accusations de bas étages et ne s’élève que très peu au niveau des idées. On se demande qui j’accuse, en oubliant qu’il n’y a pas que des « qui » à accuser, il y aussi des « quoi » qui peuvent l’être. Je laisse le lecteur découvrir ce qui est accusé.

 

AS: Comment vos anciens camarades ont-ils pris cette sortie?

 

LN : Comme l’a écrit Maître Dominique Kounkou, le Directeur de la Collection au sein de laquelle mon livre est paru aux éditions L’Harmattan, et qui en a rédigé la préface, le Gabon est un temple du silence politique, personne n’a jamais écrit sur un parti politique et qui plus est le parti au Pouvoir pour en décrire et en analyser les pratiques et les représentations. Cela n’était nullement envisageable. C’est un milieu au sein duquel certaines représentations sont si fortement ancrées qu’ils n’imaginent même pas qu’il puisse y avoir d’autres façons de faire et de penser. Ils ont évidemment été surpris. Je dirai même qu’ils ont été pris de cours.

Mais comme, ils sont formatés pour ne pas accepter la critique et surtout pour ne même pas oser critiquer, ils sont dans le déni. Certains ont simplement coupé les ponts avec moi. Une personne qui avait des responsabilités au sein de notre groupe et avec laquelle j’étais en relation depuis plus de 10 ans a simplement quitté notre église par peur de représailles. Cela m’a fait réalisé combien ce régime distille la terreur et comment la liberté d’expression est sapée à la base. Les gens s’autocensurent. Certains disent tout bas ce que j’ai dit tout haut, mais, ils choisissent de sauver leur « bout de pain » en se taisant.

Mais, le Parti Démocratique Gabonais devrait me remercier pour ce livre qui analyse les pratiques et les représentations qui ont cours en son sein et qui montrent les conséquences de ces dernières sur la vie du pays. Les responsables de ce parti auraient pu s’en servir pour corriger ce qui peut encore l’être, même si je pense qu’il est trop tard pour cela. Je leur montre les raisons pour lesquelles ils vont perdre le pouvoir dans quelques mois.

 

 

« D’autres m’ont confié qu’ils ne « like » plus mes statuts sur Facebook par peur d’être taxer d’opposants et donc d’en faire les frais. »

 

AS: Et vos proches?

 

LN : Mes proches sont dans la peur, ils ont peur pour ma vie, pour celle de mon époux et de mes enfants. Ils ont peur aussi pour eux-mêmes. Ils me demandent de ne pas me rendre au Gabon pour le moment. D’autres m’ont confié qu’ils ne « like » plus mes statuts sur Facebook par peur d’être taxer d’opposants et donc d’en faire les frais. C’est grave, c’est très grave. Les Gabonais sont terrorisés par ce pouvoir. Quand je leur dis qu’il n’y a aucune raison d’avoir peur, ils me trouvent bien naïve. Et pourtant, je n’ai fait que jouer mon rôle d’intellectuel et de chrétienne engagée en politique en livrant des analyses sur la base de ce que j’ai vécu et je suis en plein dans mon droit.

 

AS: La date de sortie officielle, le 8 mars, était importante?

 

LN : La date du 8 mars était en effet très importante pour moi. C’est la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. En tant que femme, j’invite les femmes à s’engager en politique et à la faire autrement comme l’ont fait nos sœurs du Rwanda. Ainsi, le 8 mars a été choisi pour lancer ce message aux femmes. Si nous restons spectatrices, nos pays auront du mal à se relever. Notre engagement est indispensable pour le redressement de nos Etats, mais pas en nous contentant de rôles secondaires qu’on a toujours voulus nous faire jouer et certainement pas en étant des objets de divertissement culturels et/ou sexuels. Nous avons des compétences et des qualités humaines que nous devons mettre au service de notre pays, sans qu’on ait à nous demander autre chose.

 

AS: Même si la base de départ de votre livre reste le Gabon, vous abordez d’autres pays d’Afrique, quels constats faites-vous de la démocratie aujourd’hui sur le continent noir?

 

LN : Il n’est un secret pour personne que l’Afrique est potentiellement le continent le plus riche du monde, mais il est aujourd’hui à la traine à cause de la mauvaise gestion dont il est l’objet depuis des siècles. On a accusé la traite négrière, puis la colonisation et le néo-colonialisme, mais aujourd’hui à mon avis, la plus grande plaie de l’Afrique ce sont ses dirigeants. Ces Chefs d’Etat qui n’ont aucun respect pour leur peuple, qui bafouent tous leurs droits en commençant par celui de choisir leurs dirigeants. Ils s’imposent à travers des simulacres d’élections dont la fraude est si sauvagement orchestrée qu’elle ne trompe que ses auteurs. Ces Chefs d’Etat et leur cour, plutôt que d’œuvrer pour le bien de la communauté, pillent leur propre pays, oppriment leurs peuples pour se maintenir au pouvoir. Ils ne réalisent pas qu’ils n’ont aucune légitimité ni aux yeux de leur peuple, ni même aux yeux de leurs pairs, mais ça ils s’en moquent. Or, comme je le démontre dans mon livre, c’est du Chef de l’Etat que vient la considération que l’on a pour son pays et pour son peuple. Le manque de considération, le manque de légitimité dont sont victimes les africains dans le monde est dû au manque de considération à l’endroit de leurs dirigeants parce qu’ils arrivent au pouvoir de façon illégitime et ne sont en rien des modèles de vertu. On leur déroule le tapis rouge quand ils sont présents, mais dès qu’ils ne sont plus là, on parle d’eux comme de vulgaires brigands, sans aucun honneur ni dignité. Mais, bon, le plus important pour eux étant le moment présent, ils se fichent complètement du reste. Il est urgent d’en finir avec ce simulacre de démocratie que des despotes entretiennent dans leur pays respectif.

 

« J’en appelle à la Communauté Internationale pour aider les peuples africains à se libérer. Il faut des sanctions internationales pour contraindre ces despotes à quitter le pouvoir contre leur gré puisqu’ils n’ont rien à faire de leur peuple et sont prêts à les décimer quitte à régner sur les poules, les moutons et les arbres uniquement. »

 

Avant, je me disais que ces despotes sont une honte pour l’Afrique, mais finalement non, ils sont une honte pour eux-mêmes et leur famille. L’Afrique a des fils et des filles valeureux qui croupissent dans les prisons pour avoir réclamé leur liberté et celle de leur peuple, d’autres sont tombés sous les balles. M. Denis Sassou Nguesso vient de tricher de façon odieuse pour se maintenir au pouvoir alors qu’il y est depuis 32 ans. Il n’a jamais hésité à tuer les Congolais et là encore, il est près à le faire. Face à ce genre d’individus, le peuple est forcément démuni.

 

Des pays, comme le Sénégal, le Bénin, le Burkina Faso, sont arrivés à de vraies alternances démocratiques au pouvoir, cela nous montre que les Africains sont aussi faits pour la démocratie et qu’il est possible de la pratiquer pleinement partout. Ceux qui vivent encore dans des pays où il y a des simulacres de démocratie doivent être encouragés par ces exemples et continuer leur lutte car, comme dit l’adage, « peu importe la durée de la nuit, le jour finit toujours par se lever ».

 

J’en appelle à la Communauté Internationale pour aider les peuples africains à se libérer. Il faut des sanctions internationales pour contraindre ces despotes à quitter le pouvoir contre leur gré puisqu’ils n’ont rien à faire de leur peuple et sont prêts à les décimer quitte à régner sur les poules, les moutons et les arbres uniquement. Les africains sont des humains, mais personne ne réagit aux violations de leurs droits par ces fameux chefs d’Etat. Ce n’est pas normal.

 

 

AS: Que répondez-vous à ceux qui disent que vous avez écrit ce livre parce que vous étiez aigrie et n’aviez pas obtenu certains privilèges de votre ancien parti, le PDG, au pouvoir au Gabon depuis 49 ans?

 

LN : Cela me fait sourire. Parler d’aigreur me concernant signifie deux choses : premièrement qu’ils ne me connaissent pas et deuxièmement qu’ils n’ont pas lu mon livre.

En effet, s’ils me connaissaient, ils sauraient que mon époux et moi avons un principe de vie qui veut que pour nous, vivre est un choix qui ne dépend que de nous et pas de qui que ce soit d’autre ou même d’aucune circonstance, d’une part.

D’autre part, la Bible dit que « celui dont le cœur s’égare se rassasie de ses voies, mais l’Homme de bien se rassasie de ce qui est en lui » (Proverbes 14 :14). Je crois avoir tout réussi dans ma vie. Par ailleurs, les méchancetés dont je peux être victimes ne sont rien d’autre que des marches d’escalier que Dieu met devant moi pour que je m’élève vers l’accomplissement de ma destinée car pour citer encore la Bible, « toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu… ». Donc, rien ni personne ne peut me rendre aigrie. La preuve ? En dépit de toutes les méchancetés dont j’ai été victime de la part de certaines personnes au Parti Démocratique Gabonais, je sors de là enrichie des réflexions qui sont consignées dans cet ouvrage. 

Jusqu’ici, tous les journaux qui ont parlé de moi l’ont fait sur la base de mes activités en dehors du Parti Démocratique Gabonais. J’existais avant d’y entrer et je continue d’exister après en être sortie. Ma présence était une aubaine pour eux et pas l’inverse.

 

 

Ceux et celles qui parlent ainsi n’ont pas lu mon livre, ou à défaut ils l’ont lu avec des yeux de pédégistes apeurés enclin au déni. Car dans ce livre, j’accuse cette représentation qui veut que l’on s’engage en politique parce qu’on est en quête de privilèges (voir le syndrome des insectes et de la lumière, chapitre 2). Je tiens à préciser comme je l’explique dans mon livre que pour ma part, tous les postes que j’ai occupés m’ont été proposés, je n’ai jamais rien demandé. Par ailleurs, j’ai eu des privilèges au Parti Démocratique Gabonais. J’ai pris une part très active au Congrès de 2013 en tant que deuxième rapporteur adjoint de la commission Gouvernance et c’est moi qui avait lu le rapport de la commission en plénière. C’est un immense privilège, quand sur 5000 participants, on se retrouve parmi les 30 choisis pour faire partie des bureaux des commissions. Rien que ce fait  laisse entrevoir que j’avais déjà un bel avenir tracé dans le parti. D’ailleurs ce qui m’a valu la fronde des femmes de l’UFPDG-France, c’est bien le fait que je suis arrivée dans leur structure directement comme responsable alors que certaines attendaient ce poste depuis des années. C’est pour cela qu’ils ont été très surpris par ma démission. Si cette dernière était une forme de réclamation, je serais encore au Parti Démocratique Gabonais puisque des propositions concrètes m’ont été faites pour que je retire ma démission, j’en parle dans mon livre. Mais, j’ai choisi de la maintenir.

 

« Jusqu’ici, tous les journaux qui ont parlé de moi l’ont fait sur la base de mes activités en dehors du Parti Démocratique Gabonais. J’existais avant d’y entrer et je continue d’exister après en être sortie. Ma présence était une aubaine pour eux et pas l’inverse. »

 

C’est à tel point que le 11 septembre 2015, le jour où l’actuel gouvernement a été mis en place, j’ai reçu un appel téléphonique en provenance du Gabon et on m’annonçait que pour avoir refusé de retirer ma démission, je venais de rater mon entrée au Gouvernement. Ce à quoi j’ai répondu que pour moi, entrer aujourd’hui dans un Gouvernement sous le Président Ali Bongo Ondimba, n’est pas une promotion mais un suicide politique et même un suicide tout court. Car, pour y demeurer, il aurait fallu que je sois solidaire des diverses violations des droits humains qui ont cours à l’heure actuelle au Gabon où toutes les manifestations pacifiques sont matées par les forces de l’ordre ou du désordre c’est selon. L’espace scolaire est violée par des chars qui entrent pour frapper, arrêter des élèves et leurs enseignants qui ne réclament rien d’autre que des conditions d’enseignement et d’apprentissage digne de ce nom dans un pays dont le rendement du système scolaire est le plus faible du monde. Il y a quelques jours, le Président de la République est allé visiter une école, on le voit tout souriant dans une salle de classe au sein de laquelle les élèves sont sur des table-bancs fabriquées de façon très sommaire et sur lesquelles ils sont à trois alors qu’ils devraient y être deux, dans un pays producteur et transformateur de bois… Je peux continuer la liste des incohérences tant elles sont nombreuses. 

 

 

Et puis, quand on n’est pas réflexif, qu’on n’admet pas la critique et que l’on a pas de contre arguments face à un ouvrage, il est plus aisé d’en dénigrer l’auteur pour décrédibiliser ledit ouvrage. Non, le sens de mon engagement en politique est expliqué dans mon livre, je les invite à le lire.

 

AS: Que représente 2016 pour vous dans l’avenir du Gabon?

 

LN : 2016 est pour moi l’année de l’alternance au Gabon. Il y a un temps pour toutes choses. Celui de tourner la page des années « Bongo-PDG » avec le marasme économique, politique et social qu’elles ont entrainé, est arrivé. Tant pis pour ceux qui, pour des intérêts égoïstes veulent continuer de se cramponner à ce pouvoir, il est fini.

 

 

AS: Quel message souhaitez-vous lancer aujourd’hui aux gabonais concernant les mois qui arrivent?

 

LN : Je demande aux Gabonaises et aux Gabonais de continuer à se mobiliser pour obtenir l’organisation d’une élection présidentielle démocratique et transparente. Qu’ils ne se laissent pas intimider par ce pourvoir. Il est en déperdition, ses heures sont comptées. Nous ne sommes pas le pire des peuples de la Terre. Nous avons un beau pays et nous sommes capables de le développer et d’en faire un véritable El Dorado pour tous. Battons-nous pour tourner à jamais la page des 50 années du système Bongo-PDG.

 

 

C’est pourquoi dans mon livre, j’invite tous les Gabonais à une introspection pour identifier ce qui en eux est de ce système et de le faire sortir d’eux. Ils trouveront dans mon livre des outils pour faire ce travail. « Changer de mentalités est encore possible, changer le pays aussi. Les changements ne se produiront pas tous seuls, il faut les faire arriver, p.174 . »

 

Laurence NDONG, 2016. Gabon, pourquoi j’accuse… Paris : Editions L’Harmattan.

 

Propos recueillis par Joëlle EDEDEGHE NDONG

 

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